Une dépression délirante 1
Nourredine, âgé de 51 ans, célibataire, dernier d’une fratrie de quatre, originaire de Tafilalet et habitant Fès, Electricien de profession, a été ramené dans notre formation par sa sœur pour une tentative de suicide.
Il a comme antécédent une TS qui remonte à un mois, où le patient a essayé de se poignarder par un couteau survenant dans un contexte de désespoir et de remords, mais il a été sauvé à la dernière minute par sa famille. La deuxième tentative actuelle remonte à trois jours avant son admission au cours de laquelle le patient a tenté de se jeter du toit de sa maison.
L’histoire de sa maladie remonte à quatre mois, juste après le décès de sa mère, et qui a été un événement très douloureux pour lui. Il y a eu apparition progressive d’une insomnie, un refus alimentaire, une cachexie, des crises clastiques sans hétéro agressivité, et une peur d’être seul, et encore une tentative de suicide par défenestration; ce qui a motivé sa sœur à l’amener à consulter chez nous pour une éventuelle prise en charge.
Nourreddine est né à Fès, son enfance était de déroulement normal avec un bon développement psychomoteur. Sa scolarité s’est arrêtée précocement à la 2ème année du primaire. Son père est décédé alors qu’il avait l’âge de 11 ans et sa mère il y’a à peine quatre mois. Il a travaillé comme électricien avant sa maladie mais actuellement il est sans profession. On n’a pas pu mettre en evidence des traits de personnalité pré morbides.
L’examen à l’admission a trouvé un patient avec une tenue adaptée, mais un peu négligée, amaigri et instable sur le plan psychomoteur. Le contact a été difficile au début, mais après plusieurs sollicitations, le contact est devenu moins difficile; le patient était conscient, vigilant, mais indifférent envers le temps et l’espace. Il a refusé de s’assoir au début ; son humeur parait dépressive. Le cours de la pensée est continu et le contenu est marqué par la présence d’un délire de possession « Je suis possédé par les jins » ; un délire de persécution « pourquoi les gens me poursuivent ?, ces ‘’jins’’ me suivent et veulent me posséder, et veulent me tuer » ; et un syndrome de cotard avec négation d’organe ; il disait « je n’ai pas de foie, ni de cœur… », avec un refus alimentaire dans un contexte délirant. L’examen général a trouvé un patient amaigri, légèrement déshydraté, et ses constantes hémodynamiques étaient normales.
Devant ce tableau clinique (Syndrome délirant et symptômes dépressifs graves), on a évoqué comme diagnostic une dépression avec caractéristiques psychotiques, une psychose d’origine organique ou un trouble schizo-affectif.
Au cours de son hospitalisation, un bilan biologique complet a été demandé : NFS, CRP, ionogramme, transaminases et fonction rénale, et ce bilan s’est révélé normal. Par contre, le tracé ECG a montré des troubles de la conduction, ce qui a contre indiqué la prescription de l’Anafranil. Un avis cardiologique a été favorable pour la mise sous ISRS, puis le malade a été mis sous Sertraline 50mg /j+ valium 15mg/j+Nozinan 75mg/j.
A 7jours après son admission, le malade a réclamé sa sortie et a dit qu’il va bien en critiquant ses idées délirantes. Vu l’angoisse du patient, une permission de sortie a été fait de quatre jours. Enfin à J24 de son hospitalisation, on a noté une amélioration de son état thymique, il est devenu stable sur le plan psychomoteur, et il n’y a plus d’idées délirantes franches.
Le malade a été déclaré sortant, mis sous Sertraline 50mg/j+Nozinan 75mg/j.
Actuellement, l’évolution des conceptions nosographiques permet de reconnaître la présence d’idées délirantes dépressives indépendamment du rattachement de l’épisode à la psychose maniaco-dépressive (on parle dans ces cas de « dépression avec caractéristiques psychotiques »).
Deux formes de dépression délirante sont décrites :
- Les dépressions avec caractéristiques psychotiques congruentes à l’humeur : qui regroupent les idées délirantes mélancoliques classiques, à thème de ruine ou d’indignité, de culpabilité et de punition méritée ou encore de nihilisme et de transformation corporelle (le classique syndrome de Cotard).
- Les formes avec caractéristiques psychotiques non congruentes à l’humeur rassemblent les autres thématiques délirantes : persécution, pensée imposée ou syndrome d’influence.
Si les premières ne posent généralement pas de problème diagnostique majeur, les secondes sont plus délicates parfois à reconnaître, pouvant faire discuter d’autres troubles délirants, du registre schizophrénique notamment (schizophrénie dysthymique en particulier ou trouble schizoaffectif).
Dans les 2 cas, l’évolution se fait habituellement sur un mode récurrent, souvent bipolaire, et la réponse au traitement antidépresseur seul est le plus souvent non suffisant, nécessitant le recours à une association antidépresseurs-neuroleptiques.
Les formes avec un délire non congruent à l’humeur ont le plus mauvais pronostic.
Dr. Tliji Asmae
Service de psychiatrie
CHU HASSAN II
