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Neurosciences de l’addiction : intérêt pour la prévention et le traitement


American Journal of psychiatry. August 2018

ND. Volkow et al

 

Introduction

Plus de 20 millions d'Américains souffrent d’un trouble lié à l’usage de substances. Les overdoses ont coûté la vie à plus de 63 300 Américains en 2016, et on estime que la consommation excessive d'alcool et le tabagisme contribuent respectivement à 88 000 et 480 000 décès chaque année. L’impact économique est énorme, et les coûts sont estimés à 249 milliards de dollars pour l’alcool, 300 milliards de dollars pour le tabac et 193 milliards de dollars pour les autres drogues. Une compréhension approfondie de la neurobiologie, la génétique, l’épigénétique et les mécanismes environnementaux à l'origine de la dépendance aideront  les chercheurs à identifier de nouvelles cibles pour les interventions de prévention et de traitement.

Neurobiologie de l’addiction

Les facteurs génétiques représentent environ la moitié du risque de dépendance. Jusqu'à présent, la plupart des gènes impliqués dans ce risque influencent largement la réponse biologique d'un individu aux substances.  Par exemple, une variante du gène codant pour la sous-unité alpha 5 du récepteur nicotinique, qui est fortement exprimée dans les habénules a été systématiquement associée à une plus grande vulnérabilité de la dépendance à la nicotine.

Les facteurs épigénétiques qui permettent l’expression des gènes et leur inactivation, ont été impliqués dans les changements neuroplastiques durables associés à la prise des drogues sur des modèles animaux de dépendance. Ainsi ils régulent les voies par lesquelles les facteurs de risque environnementaux tel que le stress.

 

Pendant l'adolescence, Les circuits striataux de la récompense / motivation et les circuits limbo-émotionnels sont hyperactifs, conduisant à une plus grande réactivité émotionnelle et à des comportements à la  recherche de la récompense. De plus, le cortex préfrontal ne peut pas s'autoréguler complètement ce qui entraîne plus d'impulsivité et de prise de risque. Une exposition précoce à des substances illicites  peut nuire d’avantage au développement du cortex préfrontal, augmentant ainsi le risque de dépendance à long terme.

 

Il a été démontré également que de multiples traits psychologiques influencent le risque de dépendance, y compris l'impulsivité, la recherche de sensations, ainsi que la réactivité au stress. Les neurosciences ont commencé à délimiter les circuits cérébraux qui interviennent dans ces traits. Par exemple, les traits d'impulsivité sont associés à une dérégulation des circuits cortico-striataux, ainsi qu'à une activation de la connectivité fonctionnelle du cortex cingulaire antérieur et de l'amygdale. La recherche de sensations fortes a été associée à une épaisseur réduite du cortex cingulaire antérieur et du gyrus frontal moyen. La réactivité au stress est corrélée à la régulation préfrontale cortico-limbique de l'activité de l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien.

Au cours de l'intoxication, la  consommation de substances psychoactives  stimule la libération de la dopamine  dans le système de récompense mésolimbique (le noyau accumbens et le striatum dorsal) ce qui renforce  cette consommation. La réponse atténuée de la dopamine pendant l’intoxication est associée à une expérience subjective réduite de la récompense.

 Bien que le système dopaminergique permet d’expliquer les effets renforçant et de récompense  des substances, il est également évident que d'autres neurotransmetteurs notamment les opioïdes, les cannabinoïdes, le GABA et la sérotonine contribuent  aux états euphoriques et les réponses agréables à ces substances. Ils interviennent aussi dans les mécanismes de neuroadaptation qui entraînent la dépendance.

Développement accéléré de nouvelles interventions de prévention

Une meilleure compréhension des effets de la consommation de substances sur le développement normal du cerveau, les effets délétères des environnements défavorables et le rôle des vulnérabilités innées permettront de développer des interventions personnalisées de prévention. Par exemple, des environnements sociaux défavorables pendant la petite enfance peuvent entraîner une connectivité limbique préfrontale retardée, qui est associée à l'impulsivité.

À son tour, l’impulsivité prédit une plus grande vulnérabilité aux troubles liés à l’usage de substances. Cependant, les enfants peuvent apprendre à améliorer leur autorégulation et donc contrôler leur impulsivité. En outre, l’isolement social et l’exposition à des environnements sociaux avec un soutien limité sont associés à une diminution de l'expression des récepteurs dopaminergiques D2 dans le striatum, ce qui est associé à une plus grande vulnérabilité à l'impulsivité et à la consommation de substances.

Accélération du développement de nouveaux traitements

La prise en charge des troubles liés à l’usage de substances a connu des succès importants, mais les options thérapeutiques sont encore limitées. Bien que la FDA (Food and Drug Administration) ait approuvé des médicaments pour le traitement des troubles liés à l’usage des opioïdes, de l'alcool et du tabac  qui représentent des progrès significatifs, ils ne sont pas efficaces pour tous les patients.

Similairement, les traitements psychosociaux fondés sur des données probantes (la thérapie cognitivo-comportementale) sont disponibles, mais leurs efficacité est également limitée.

De nouvelle partenariats développent actuellement   des nouvelles stratégies thérapeutiques pour traiter les troubles liés à l’usage des opioïdes, tels qu'une combinaison buprénorphine / naloxone (Suboxone*) , le naltrexone à libération prolongée d'un mois (Vivitrol*) , un implant sous-cutané de buprénorphine de 6 mois (Probuphine*) et le naloxone intranasal facile à utiliser pour gérer  les overdoses en opioïdes.

Les recherches sont en cours pour développer de nouveaux traitements visant les voies de signalisation moléculaire et les circuits cérébraux impliqués dans les troubles liés à l’usage de substances. Une stratégie prometteuse explore l'utilisation des pharmacothérapies ciblant les endophénotypes associés à la dépendance. Par exemple en utilisant des médicaments visant à améliorer les performances et les fonctions cognitives pour mieux permettre le contrôle des impulsions, la planification et la prise de décision.

Divers systèmes de neurotransmetteurs sont impliqués dans ces fonctions cognitives et émotionnelles et représentent des cibles thérapeutiques potentielles.

Bien qu’il n’existe qu’une seule combinaison médicamenteuse approuvée pour les troubles liés à l’usage de substances (association buprénorphine / naloxone), les études évaluant d’autres associations médicamenteuses ont montré des résultats prometteurs. Par exemple, l'association de la buprénorphine avec la naltrexone s’est montrée plus efficace dans l’addiction à l’héroïne et la cocaïne que la monothérapie. De même, l'association du lofexidine et du dronabinol a significativement réduit les symptômes de sevrage du cannabis par rapport à l'un des deux médicaments en monothérapie.

Nouvelles cibles thérapeutiques prometteuses

La littérature comprend un large éventail de stratégies prometteuses pour les troubles liés à l'usage de substances qui visent la principale cible protéique de la substance psychoactive, les modulateurs du système de récompense cérébrale et les modulateurs des circuits en aval perturbés par la dépendance.

Les stratégies thérapeutiques ciblant le récepteur aux opioïdes « mu » ont été les plus efficaces pour traiter les troubles liés aux opioïdes. Cependant de nouvelles approches pharmacologiques qui n'impliquent pas ce récepteur comprennent des stratégies visant à moduler le circuit de récompense via l'antagonisme du récepteur de la neurokinine 1 , et à limiter les symptômes de sevrage via l’antagonisme du récepteur kappa-opioïde.

 La lofexidine, un agoniste des récepteurs alpha-2a adrénergiques diminuerait également les symptômes de sevrage aux opioïdes selon certains essais précliniques.

L'ocytocine est un neuropeptide qui présente également un intérêt dans les addictions. Les neurones exprimant l'ocytocine se projettent dans les régions du cerveau impliqués dans la récompense (y compris la zone tegmentale ventrale et le nucleus accumbens) et le stress (y compris l'amygdale et l'hippocampe). Des études précliniques ont montré que l'ocytocine diminue l'auto-administration de l’héroïne, la cocaïne, la méthamphétamine et l’alcool, et soulage les symptômes de sevrage de la nicotine.

Les cannabinoïdes peuvent également être utiles pour traiter les addictions aux substances, et l'identification des médicaments ciblant le système endocannabinoïde sans entraîner des troubles cognitifs et des effets de récompense pourrait mener à de nouveaux traitements (le dronabinol, le nabilone et le nabiximol).

Une approche différente visant une activation glutamatergique des régions préfrontales limbiques, peut diminuer le craving et les taux de rechutes. Ce qui est le cas pour le N-acetylcysteine qui a démontré des résultats encourageants dans l’addiction à la cocaïne.

Les vaccins et l'immunisation passive avec des anticorps qui agissent en se liant à la substance dans le sang, l'empêchant ainsi de pénétrer dans le cerveau. Des études précliniques ont montré des résultats prometteurs pour les vaccins contre les opioïdes, l'héroïne et le fentanyl, induisant une réponse immunitaire élevée aux opioïdes. Des études cliniques sur les vaccins à base de cocaïne et de nicotine ont abouti à des titres d’anticorps insuffisants chez l’homme, et des travaux supplémentaires sont nécessaires.

L'identification des circuits neuronaux impliqués dans la dépendance peut également suggérer des stratégies de stimulation cérébrale, telles que la rTMS et la tDCS. Ces traitements renforcent l’activité préfrontale pour améliorer l’autorégulation ou la modulation des voies limbiques pour réduire l’excitation et le craving.

Conclusion

Les progrès scientifiques ont révolutionné notre compréhension des facteurs biologiques et psychosociaux de la dépendance. Il existe un potentiel énorme pour traduire cette base vaste de connaissances en un progrès significatif dans la prévention et le traitement des troubles liés à l'usage de substances.

 

                                                                                                                       Dr Ouazzani Youssef

                                                                                                          Service de Psychiatrie

                                                                                                          CHU Hassan II Fès

Le 19/08/2018


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