Conduite à tenir devant un malade dangereux
Introduction
La dangerosité est en rapport avec des formes de violence et d'agressivité mettant en danger la sécurité du sujet même ou représentant une menace pour autrui. L’Organisation mondiale de la santé rappelle que : « chaque année, la violence dans le monde fait plus de 1,6 million de morts », et en donne une définition exhaustive : « l’usage délibéré ou la menace d’usage délibéré de la force physique ou de la puissance contre soi-même, contre une autre personne ou contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque fort d’entraîner un traumatisme, un décès, un dommage moral, un mal-développement ou une carence ».
L’état de dangerosité d’un même individu ne présente pas nécessairement un caractère permanent et linéaire, mais peut au contraire être transitoire, s’atténuer, voire disparaître ou croître. D’autre part, la dangerosité d’une personne peut être d’ordre criminologique et/ou psychiatrique, ce qui signifie qu’elle n’est pas l’apanage de la pathologie mentale. Dans la majorité des cas, il n’y a pas de cause unique, et plusieurs facteurs s’ajoutent les uns aux autres, déterminant la violence.
L’agressivité ne s’observe que chez une petite minorité des malades mentaux. Elle est contemporaine d’une pathologie aigue : confusion mentale, psychoses aigues, ivresses pathologiques ou s’inscrit dans le cours d’une pathologie chronique : schizophrénie et délires chroniques, atteintes cérébrales organiques, personnalités pathologiques de type antisociale ou borderline, alcoolisme et toxicomanies.
Tout médecin peut être confronté à prendre en charge un malade dangereux d’où la nécessité de bien connaitre la conduite à tenir devant cette situation.
Clinique de la dangerosité
L’appréciation clinique de l’état dangereux comporte plusieurs étapes, elle doit être fine, d’ordre sémiologique et symptomatique.
Différents types de violence et d’agressivité
- Violence: on distingue :
- La violence émotionnelle : défensive réactionnelle, survenant dans un contexte où le sujet se sent menacé, majoritairement en cause dans le contexte des urgences.
- La violence instrumentale appartient au registre de la délinquance, non réactionnelle, requiert un détachement affectif. Elle est planifiée, déterminée et dirigée vers un but, sans comportements avant-coureurs ce qui la rend plus imprévisible. Elle est destinée à l’obtention de bénéfices secondaires (pouvoir, argent, satisfaction sexuelle).
- Agressivité:
- Les conduites hétéro-agressives peuvent consister en attitudes hostiles ou opposantes, en paroles (injures, menaces, calomnies), ou en actes (dégradations diverses, crises clastiques, coups, blessures, meurtres). Elles sont ou non associées à des conduites auto-agressives : gestes suicidaires, automutilations, conduites à risque.
- L’agressivité peut aussi s’exprimer de façon moins explicite : opposition passive ou semi – mutisme.
Trajectoires criminelles pathologiques
Très schématiquement, cinq trajectoires peuvent être distinguées:
- Le patient « dangereux précoce », inaugurant ses troubles psychiques par un acte violent; le prototype pourrait en être le crime immotivé du schizophrène;
- Le patient « dangereux tardif » passant à l’acte après une longue maturation de ses troubles; le prototype pourrait en être le délirant persécuté paranoïaque qui ne se résout à tuer qu’après épuisement de tous les autres « moyens de défense » contre les persécuteurs ;
- Le patient « dangereux par intermittence », dont la dangerosité suit l’évolution discontinue de sa maladie; le prototype en serait le trouble bipolaire ;
- Le patient « dangereux aigu », passant à l’acte de façon brutale et imprévisible dans un contexte qui n’est d’ailleurs pas forcément celui d’une pathologie aiguë ; ainsi, l’agression peut émerger en même temps qu’un ordre hallucinatoire de tuer, dans un contexte de psychose chronique ;
- Le patient « dangereux chronique », évoquant d’emblée le déséquilibre psychopathique dont la violence semble être une nécessité vitale impérieuse.
Etats dangereux : principales situations psychiatriques
En présence d'un délire |
|
En présence d'un trouble de l'humeur |
|
Autres situations cliniques réputées dangereuses |
|
Sans cause décelable |
|
Prédiction de la dangerosité
La prédiction de la dangerosité est l’estimation du risque de commission d’un acte de violence. Il s’agit d’une tâche immensément complexe, avec des aspects multiples et des déterminants relevant de domaines variés. Cette tâche est pourtant une nécessité, tant psychiatrique que juridique, puisqu’il s’agit ici, en particulier, de protection de la société.
L’appréciation clinique de l’état dangereux comporte plusieurs degrés. Soit l’état est patent et la violence constitue le motif initial de la consultation, se présentant sous la forme d’une agitation agressive, d’une exaltation passionnelle (revendication, jalousie, érotomanie), d’un état de fureur maniaque; soit l’état dangereux est latent, il peut être alors suspecté devant un ensemble de situations pathologiques à risque tel le risque de suicide altruiste dans le syndrome mélancolique ou dans le post-partum.
On distingue des facteurs de risque généraux, spécifiques à certaines pathologies, et de signes avant-coureurs plus souvent associés avec les passages a l’acte à court terme.
Facteurs de risque
Facteurs de risque généraux |
||
Eléments socio-démographiques |
|
|
Antécédents |
|
|
Facteurs de risque spécifiques à certaines pathologies |
||
Abus d'alcool ou de drogues |
|
|
Schizophrénie |
Particulièrement si symptomatologie aigue :
|
|
Episode psychotique aigu |
Même facteurs de risque pour la schizophrénie particulièrement si :
|
|
Trouble délirant persistant |
|
|
Manie |
|
|
Dépression |
|
|
Troubles de la personnalité |
|
|
Troubles envahissant du développement |
|
|
Démence |
|
|
Autres troubles organiques |
|
Signes avant-coureurs de violence
Violence récente |
|
Contenus psychiques agressifs |
|
Opposition aux soins |
|
Signes de tension psychique |
|
Conduite à tenir devant un malade dangereux
Conditions d’examen du patient potentiellement violent
- Exercer dans des conditions prévues en fonction de sa sécurité et de celle du patient sans être influencé par la peur d’un affrontement.
- Accorder de l’importance à la communication au sein de l’équipe et à la coordination des intervenants permettant une meilleure prévention et une réactivité immédiate aux signes avant-coureurs de violence.
- Repérer le sujet à risque et les signes précurseurs de passage à l’acte pour une intervention prioritaire.
- Diminuer les stimulis auditifs en lui permettant de s’installer dans un endroit calme.
- Examen dans un milieu ouvert aisément accessible au secours et sans objet vulnérant, disposant d’une sortie rapidement accessible pour l’équipe soignante et d’un système d’alerte.
- En fonction du risque, conduire l’entretien :
- Seul avec le patient, la porte du bureau restant ouverte ;
- Seul avec le patient, un membre de l’équipe devant la porte ;
- Avec un ou plusieurs membres de l’équipe soignante ;
- Avec le patient contenu.
- Rechercher des armes et des objets dangereux sur le patient ou à proximité.
- Un membre de l’équipe veille à l’environnement du service : famille et autres patients.
Aspects relationnels de la prévention de la violence
Recommandations générales
- Adopter une attitude calme, assurée, respectueuse et rassurante.
- Faire en sorte que le patient connaisse les soignants, rappeler son nom ou son prénom et sa fonction autant que de besoin.
- Dépister et analyser les réactions contre-transférentielles.
- Mettre un terme à une entrevue autant que le patient ne puisse plus contenir son agressivité.
- Investigation des contenus psychiques agressifs et suicidaires.
Recommandations spécifiques à certains troubles
- Schizophrénie et épisode psychotique aigu :
- Eviter la trop grande proximité qui génère la violence ;
- Eviter de toucher le patient, le prévenir si nécessité de soins ;
- Rester dans l’évaluation sans vouloir trop en savoir ;
- Eviter d’entrer dans le délire.
- Episode maniaque:
- Eviter la complicité ludique ;
- Anticiper la labilité émotionnelle conduisant à une agressivité soudaine.
- Délire paranoïaque :
- Eviter la confrontation et la surenchère, les réactions de prestance,
- Ne pas menacer le patient,
- Eviter de faire la morale,
- adopter une position basse,
- Reconnaitre ses limites.
- Intoxication alcoolique ou toxique:
- Médicaliser le premier contact,
- Expliquer la nécessité d’une surveillance médicale avant toute orientation,
- Ne pas répondre aux provocations
- Trouble de la personnalité à expression psychopathique:
- Proscrire les fausses promesses ou les propositions paradoxales ;
- Signifier clairement quels comportements sont interdits dans le milieu hospitalier et quelles mesures de contrôles seront, le cas échéant, appliquées sans défier la personne, en extériorisant les limites imposées : « le règlement interdit aux psychiatres de prescrire aux urgences des stupéfiants », « je n’ai pas le pouvoir de vous hospitaliser »
- Proposer un substitut à la frustration : boire, manger, un brancard pour se reposer, un médicament pour s’apaiser.
- Trouble de la personnalité / borderline ou histrionique:
- Diminuer l’ambiance du spectacle (entretien à l’écart)
- Expliquer la signification de l’agressivité sans la banaliser
- Responsabiliser la personne dans une participation active au projet thérapeutique et un retour sur les événements perturbateurs.
Place des psychotropes, de la contention et de l’isolement
- Un examen somatique complet si c’est possible avec prise des constantes et abord médicalisé permet parfois un premier apaisement de la situation.
- Rechercher une étiologie organique qui sera traitée de façon spécifique.
- Certains signes avant-coureurs ou facteurs de risque de violence représentent des symptômes cibles pour lesquels un traitement pharmacologique peut être instauré : un neuroleptique, un antipsychotique ou une benzodiazépine per os ou en injection intramusculaire sont indiqués en fonction de la pathologie.
- Les anxiolytiques sédatifs :
- Benzodiazépines: .VALIUM* amp10 mg, cp 5 mg, 10 mg.
- Non benzodiazépiniques : EQUANIL* cp400 mg/ amp.
- Les neuroleptiques sédatifs:
- NOZINAN amp 25 mg, cp 25 mg, 100 mg.
- LARGACTIL amp 25 mg, cp 25 mg 100 mg.
- Les neuroleptiques antiproductifs:
- HALDOL Amp 25 mg, gouttes 0, 2%.
- Les anxiolytiques sédatifs :
- S’assurer de l’efficacité et de la continuité du traitement dans les heures qui suivent la prescription.
- Si persistance du risque imminent pour le patient ou autrui, la contention ou la mise en chambre d’isolement sur prescription médicale sont indiquées.
Prise en charge de l’entourage
- Dans un premier temps, évaluer la nécessité de la séparation temporaire vis-à-vis de tiers perturbateurs impliqués dans un conflit, ou de la présence d’un tiers rassurant pour le patient.
- En deuxième temps, analyser les interactions avec l’entourage favorisant la violence.
Indications et modalités d’hospitalisation
- Elle est indiquée en fonction de la pathologie sous-jacente, de la dangerosité prévisible à moyen terme et de la résolution d’un état de crise.
- Elle est sous contrainte si le patient ne reconnait pas les troubles présentés et refuse les soins nécessaires.
- L’hospitalisation d’office est indiquée en fonction du risque de récidive et de la gravité des conduites agressives.
Conclusion
- La dangerosité peut être évoquée devant certains diagnostics, par l’anamnèse ou par le comportement du sujet.
- Le médecin doit garder un libre accès à la porte qui doit rester ouverte. Il peut être assisté par une tierce personne (infirmier) si la dangerosité est imminente.
- Prendre la décision d’hospitaliser le sujet si la dangerosité est imminente.
