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Dépression atypique chez un adolescent


Athmane. K., âgé de 18 ans, scolarisé jusqu’en 2ème année du collège, actuellement sans profession et vivant avec ses grands parents.

Ce sont justement ses grands parents qui l’amènent en consultation pour de gros troubles de comportement. En effet, la veille, Athmane s’est introduit chez les voisins par le toit de la maison, entièrement dénudé, leur demandant de lui indiquer la douche afin de prendre un bain.

Selon la grand-mère, le patient n’en est pas à son premier trouble de comportement. Il y’a un an, alors qu’il voyageait seul vers une autre ville ou habite sa tante, Athmane disparut durant une semaine entière sans donner de nouvelle.

Au terme de cette semaine, les grands parents furent contactés par des agents de police qui leur ont confirmé que leur petit fils se trouvait dans un commissariat d’une autre ville à mi-chemin dans l’itinéraire de son voyage.

Une fois sur place, la famille découvre le patient dans un piteux état: sale, vêtements déchirés, tenant des propos incompréhensibles. Après plusieurs tentatives de réassurances, il finit par avouer à la grande mère qu’il fut dépouillé de ses biens, agressé et violé par un groupe d’hommes.

De retour chez lui, Athmane n’était plus le même, il commença à se renfermer sur lui même et présenta progressivement une irritabilité associée à une bizarrerie comportementale. Il se levait au milieu de la nuit, allumait toute les lumières de la maison et se tenait longuement devant le miroir.

Sa grand-mère rapporte qu’elle l’a souvent entendu parler seul, à haute voix et parfois même des rires aux éclats sans motif évident. Au fil des mois, les troubles s’aggravèrent. Le patient devenait irritable à la moindre contrariété et parfois même sans motif il devenait coléreux et s’agitait, cassant la vaisselle dans la cuisine ou les meubles de la maison.

Récemment, il a même craché dans la marmite que préparait sa grande mère à l’occasion d’une réception d’invités et ce, devant les yeux de celle ci et en criant « on ne reçoit personne chez nous !! ».

La revue de la biographie du patient avec ses grands parents a objectivé un autre évènement traumatisant : celui du meurtre de sa mère par les mains même de son père pour cause d’adultère. Athmane était alors un nourrisson de deux ans lorsqu’il fut privé à la fois de sa mère assassinée et de son père condamné à perpétuité. Il fut accueilli et élevé par ses grands parents paternels qui ne lui ont jamais caché l’incident qui l’avait privé de ses vrais parents.

En grandissant, il commença à accompagner sa grand-mère qui rendait visite au père incarcéré. Il intégra l’école à l’âge de 6 ans et a eu une scolarité brillante jusqu'à l’âge de 13 ans, année ou son rendement scolaire commença à fléchir progressivement. Son désintérêt de l’école se manifesta par un absentéisme fréquent et une turbulence en classe.

Le grand père impute cela aux mauvaises fréquentations qu’entretenait son petit fils, qui entama dés cet âge, ses conduites addictives au tabac, puis un an plus tard au cannabis. Athmane exprima son désir de quitter l’école après un premier échec et intégra rapidement une formation professionnelle qu’il ne tarda pas à abandonner.

Le patient passait son temps à fumer et à trainer avec ses amis. Il commença à boire de l’alcool de façon occasionnelle vers l’âge de 15 ans. C’est à cet âge que son grand père le convainquit de travailler comme plâtrier. Une profession qu’il parvint à garder pendant un an et demi et ce malgré les conduites de délinquances parallèles que le patient entretenait.

La dernière en date fut un vol de bouteilles d’alcool suivi d’une altercation violente qui poussa la famille à l’envoyer chez sa tante à Ksar-Kbir craignant un acte de vengeance sur le petit fils. C’est au cours de ce voyage que Athmane fut victime du viol collectif.

Le patient est donc amené un an après par ses grands parents en consultation aux urgences psychiatriques après son introduction entièrement dénudée dans la maison des voisins. Lors de l’entretien initial, le patient qui paraît plus jeune que son âge (imberbe et relativement maigre); se présente en tenue propre et adapté à son âge et à son sexe. Il arbore une mimique très angoissée, à la limite de la terreur.

Il semble bien orienté dans l’espace et dans le temps. Tout au long de l’entretien le patient est réticent et akathisique: il se lève souvent, déambule dans la salle d’examen, les mains dans les poches de son blouson et répond difficilement aux sollicitations. Il scrute tout dans la salle et s’alarme au moindre mouvement de l’examinateur.

Une fois ou deux, il essaya de s’emparer brusquement du papier que rédigeait le médecin. Une autre fois, il rapprocha sa chaise de l’examinateur, lui demandant de lui contrôler la pression artérielle avant de se retirer brusquement quand l’examinateur se rapproche de lui. L’humeur, difficile à apprécier vu l’angoisse prédominante sur le tableau, semble tendre vers la tristesse alors que l’affect est très difficile à juger.

La pensée du patient demeure hermétique, impénétrable. Le patient ne repend que par des réponses succinctes. A noter que parfois, le patient fait des barrages en s’arrêtant net au milieu d’une phrase ou encore de rares réponses à côté. L’examen somatique du patient ne trouva pas d’anomalie cliniquement décelable, en dehors de cicatrices d’automutilations sur l’avant bras gauche.

Au terme des données recueillies lors de cet entretien initial (relativement infructueux), nous avons conclu à un syndrome dissociatif touchant les registres comportemental et intellectuel associé à une angoisse importante, le tout s’installant de façon progressive dans les suites d’un traumatisme psychique (viol) chez un patient de 18 ans ayant des conduites addictives au cannabis depuis 5 ans.

Les diagnostics évoqués furent : un envahissement schizophrénique, une dépression atypique, ou encore un état de stress post traumatique atypique. Le patient fut hospitalisé et mis sous traitement anxiolytique et neuroleptique sédatifs avec une surveillance rapprochée (risque suicidaire non verbalisé mais présent avec possibilité de raptus anxieux). Selon l’équipe soignante, Il passa la première nuit sans sommeil, se tenant debout dans la chambre, et le matin il refusa de manger.

Un second entretien, plus long, ne permit pas de recueillir d’avantage d’éléments, le patient restant réticent et opposant. Un bilan biologique initial comprenant un ionogramme complet, une glycémie bilan rénal et hépatique est demandé. Une TDM cérébrale est envisagée aussi. Au bout de 5 jours d’évolution sous neuroleptiques classiques (Halopéridol 9mg/jour en 3 prises) et anxiolytiques (Diazépam 30mg/ jour en 3 prises), l’angoisse du patient s’estompa laissant place à une humeur franchement dépressive.

Le contact avec Athmane s’améliora progressivement, son négativisme céda et il devint de plus en plus coopérant. D’abord en exécutant les directives des examinateurs puis par l’établissement d’un contact par écriture. Ses réponses écrites adaptées aux questions (sur son nom, son origine, l’endroit dans lequel il se trouvait) écartaient toute éventualité d’un syndrome confusionnel.

Sur le plan moteur, l’excitation psychomotrice fut rapidement remplacée par un ralentissement psychomoteur marqué, avec une clinophilie. Devant ce tableau franchement dépressif, la décision d’instaurer un protocole de perfusion IV de Clomipramine est prise. Suite à cette perfusion, l’humeur s’améliora légèrement ainsi que l’activité motrice du patient. Lorsque le contact verbal devint possible, le patient tenait par moment des propos incompréhensibles pour qualifier son état physique et ses sentiments.

Ces propos se transformèrent rapidement en plaintes franchement hypochondriaque « j’ai du poison qui circule dans mes veines, voyez les traces de piqures que ma tante m’a faite (il tend sa main à l’examinateur et montre le bas de son dos). Plus tard, Athmane verbalisa aussi des idées de négation d’organe « je n’ai plus de poumons [...] le sang s’est arrêté de circuler dans mes veines [...] j’ai de la terre dans mes intestins ».

Suite à ces éléments psychotiques constatés chez le patient, l’introduction d’un neuroleptique atypique a été jugée utile (en l’occurrence l’amisulpride à la dose de 400mg /jour) en association avec un traitement anxiolytique (diazépam 20mg / jour en 2prises).

Le bilan biologique initial (revenu normal) est complété par un bilan thyroïdien revenu sans particularité et des sérologies virales (VIH, Hépatites B et C) et syphilitique qui se sont avérées négatives. De même, la TDM cérébrale C+ n’a révélé aucune anomalie.

Au terme d’un mois d’hospitalisation, le patient présenta une amélioration partielle de l’humeur mais il garda toujours des idées délirantes à thématique hypochondriaque et de damnation « je sens que mes organes sont pourris.

Je ne suis qu’une pourriture et je dois être enterré ». Athmane ne cessait d’exprimer des idées de désespoir et de dégout de la vie avec un désir de mort omniprésent. Vu le risque suicidaire et la sévérité du tableau clinique, les doses orales de Clomipramine ont été majorée à 100 mg/ jour avec adjonction d’un NLP sédatif (Lévopromazine à 50mg le soir).

Durant le mois qui suit, l’humeur du patient s’améliora très progressivement, cependant le tableau clinique fut marqué par des évènements non congruents à l’humeur de Athmane. L’équipe soignante a signalé d’abord un épisode d’entière dénudation sans que cela soit expliqué par les circonstances ni par le patient lui même.

En outre, les infirmiers ont rapporté qu’une fois, Athmane a amusé un groupe de patients en chantant du Rai. Cependant et au cours des entretiens, le patient ne présentait pas d’éléments en faveur d’une manie ou d’une hypomanie. Il paraissait par moment plutôt froid, et parfois triste, notamment lorsque l’histoire de ses parents était évoquée.

Par ailleurs, il niait toujours avoir été victime d’un viol et n’admettait pas avoir des trouble perceptifs. Sur le plan comportemental, le patient faisait preuve d’un théâtralisme manifeste (chute et perte de connaissance lors de contrariété, simulation d’une boiterie pour attirer l’attention de l’équipe soignante) ainsi que des attitude de chantage fréquente en réclamant a manger ou a sortir par exemple.

Après 11 semaines d’hospitalisation, le patient était nettement amélioré sur le plan de l’humeur et de la pensée pour permettre à l’équipe soignante d’envisager une permission de sortie de 04 jours.

Au terme de cette permission qui s’est bien déroulée, une sortie définitive a été réalisée avec un suivi en ambulatoire. Le diagnostic d’épisode dépressif majeur avec caractéristiques psychotiques a été retenu à la sortie.

Le long de son suivi en consultation le patient n’a pas présenté de rechutes, mais il garda une certaine désinhibition avec des comportements inadaptés à son âge par moment (il n’hésitait pas à caresser les cheveux de filles étrangères dans le bus devant sa grande mère ou des fois à venir frapper le crâne chauve de son grand père devant des invités). Actuellement le patient est toujours sous :

  • Amisulpride 400mg/jour.
  • Sertraline 50mg/jour.

Dr. BERHILI.


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